L’UFC Que Choisir RÉAGIT À LA CRISE AGRICOLE
Les Billets de notre Présidente Nationale
1) LA DÉFENSE DU REVENU AGRICOLE N’EST PAS INCOMPATIBLE AVEC L’ENVIRONNEMENT ET LA SANTÉ DES CONSOMMATEURS :
Publié le 26 Janvier 2024
Depuis la semaine dernière, les agriculteurs manifestent à travers toute la France pour protester contre la faiblesse de leurs rémunérations. De fait, après avoir connu une légère embellie entre 2021 et 2022, le revenu agricole devrait baisser de 9 % en 2023 d’après les calculs de l’Insee (1).
Et pourtant, on ne peut pas dire que Jupiter ait hésité à brandir le foudre législatif ces dernières années ! En 2018, déjà décidé à agir, le Gouvernement dégainait la Loi Egalim 1 et nous faisait croire qu’en garantissant une marge minimale de 10 % à la grande distribution, celle-ci ruissellerait miraculeusement pour faire remonter les prix agricoles. Dénoncé dès l’origine par l’UFC-Que Choisir, ce relèvement du seuil de revente à perte a largement démontré son inefficacité, n’apportant aucun bénéfice aux agriculteurs, comme les protestations actuelles dans les campagnes le confirment à nouveau. C’est pourquoi je demande au législateur de supprimer sans tarder cette mesure inflationniste, alors que la baisse des prix alimentaires en rayon annoncée depuis des mois par le Gouvernement se fait toujours attendre.
Egalim 1 devait être aussi la fin des négociations biaisées où la grande distribution et les industriels imposent des prix indignes aux agriculteurs. Désormais, c’était sûr, on appliquerait des prix agricoles véritablement rémunérateurs, basés sur les coûts de production des agriculteurs. Las, en l’absence de contrôles, cet aspect de la Loi Egalim 1 est resté lettre morte et la grande distribution comme les industriels ont continué à dicter leur loi aux agriculteurs.
Qu’à cela ne tienne, trois ans plus tard, le Gouvernement, encore décidé à agir (ou voulant en donner l’impression), dégaine la Loi Egalim 2. La précédente n’était pas assez précise ? Avec la nouvelle version, c’était juré, on allait enfin avoir des prix agricoles décents. Las, Egalim 2 reste également sans impact pour les mêmes raisons qu’Egalim 1.
En mars dernier, toujours décidé à agir et sans crainte du ridicule, le Gouvernement dégaine la Egalim 3 (la loi Descrozailles) qui interdit notamment à la distribution certaines promotions sur les produits d’hygiène et d’entretien, au prétexte de soutenir les prix agricoles ! Vous imaginez bien que cette disposition ahurissante n’a eu évidemment aucun impact sur la rémunération des agriculteurs.
Mardi enfin, en réponse à la colère du monde agricole, Gabriel Attal annonce devant les députés, des contrôles et des sanctions pour faire respecter la Loi Egalim ! Il serait temps non ? Alors que les éleveurs dénoncent la faiblesse du prix imposée par Lactalis, 15 % en dessous de ses concurrents et en contradiction avec ses obligations légales, le Gouvernement doit sans plus tarder faire appliquer son arsenal législatif. Les agriculteurs français doivent trouver une juste rémunération pour le travail qu’ils accomplissent. C’est une condition sine qua non pour permettre une pérennité de l’activité agricole dans notre pays et donc assurer la souveraineté alimentaire de notre pays, qui ne doit en aucun cas être sacrifiée.
Mais je voudrais également réagir aux déclarations de la Fnsea qui, pour reprendre la main sur le mouvement spontané des agriculteurs, nous ressert ses vieilles rengaines sur l’avalanche de normes européennes. Celles-ci, en renchérissant les productions françaises, les empêcheraient d’être compétitives. Faut-il pour autant abaisser drastiquement les exigences sanitaires et environnementales ? Je vous le dis clairement, un tel retour en arrière ne serait pas acceptable. Le scandale ce n’est pas l’existence d’exigences visant à préserver la santé des consommateurs et l’environnement. Le scandale c’est le fait que ces exigences ne s’appliquent pas à tous les produits qui entrent sur notre territoire ! L’UFC-Que Choisir dénonce depuis des années cette situation, ainsi que la signature des traités bilatéraux tels que le Mercosur qui officialisent ces inadmissibles exemptions aux règles européennes. Si les pouvoirs publics veulent vraiment agir pour empêcher la concurrence déloyale à laquelle sont confrontés nos agriculteurs, ils doivent généraliser les normes environnementales et sanitaires quelle que soit l’origine des produits, et non les supprimer.
2) HALTE À L’INSTRUMENTALISATION DE LA CRISE AGRICOLE – SURENCHÈCHES DE LA FNSEA POUR DÉMANTELER LES RÉGLEMENTATIONS SUR L’EAU ET LES PESTICIDES :
Publié le 30 Janvier 2024
Alors que la révolte paysanne gronde, les syndicats agricoles multiplient les demandes au Gouvernement. Certaines de ces revendications sont portées de longue date par l’UFC-Que Choisir, telles que l’application de la Loi Egalim pour obtenir des prix rémunérateurs en rapport avec les coûts de production agricole ou encore l’abandon des accords bilatéraux (Mercosur, Nouvelle Zélande) qui ouvrent toutes grandes les portes du marché français à des produits alimentaires ne respectant pas nos normes sanitaires et environnementales.
En revanche, d’autres exigences, soutenues plus particulièrement voire spécifiquement par la FNSEA, sont proprement scandaleuses. Dans un document appelé « Retrouver la liberté d’entreprendre » (1) on trouve un florilège de demandes parfaitement inadmissibles, comme par exemple l’abandon pur et simple des zones de non-traitement des pesticides à proximité des habitations (la liberté d’asperger les riverains, je suppose), un moratoire sur l’interdiction des pesticides jugés dangereux (c’est-à-dire la liberté de polluer avec des substances hautement toxiques) ou encore l’accélération de constructions des stockages d’eau (la liberté de faire main basse sur une ressource en voie de raréfaction !).
Ces demandes sont d’autant moins légitimes qu’elles ne font pas partie des griefs exprimés par la base. D’ailleurs, la construction des bassines ne bénéficierait qu’à une très faible minorité d’exploitations, l’irrigation n’étant pratiquée que sur 5 % de la surface agricole française. On voit bien qu’il s’agit d’une revendication catégorielle émanant d’une fraction d’agriculteurs cherchant à surfer sur la vague de mécontentement. Quant aux pollutions en pesticides, je voudrais rappeler à Arnaud ROUSSEAU, Président de la FNSEA, que près d’un demi-million de consommateurs français boivent une eau contaminée au-delà des limites définies par la réglementation européenne et ce malgré la coûteuse dépollution – au bas mot un milliard d’euros par an – intégralement payée par les consommateurs ! Je tiens également à lui rappeler que ce coût, déjà considérable, sera encore amené à augmenter fortement dans les prochaines années, du fait des nouveaux pesticides particulièrement toxiques (métolachlore, chlorothalonil…) que les agences régionales de santé découvrent de plus en plus régulièrement dans les prélèvements d’eaux soi-disant « potables ».
Mais face aux surenchères poujadistes de certains tribuns, je voudrais attirer l’attention sur les propositions de bons sens qui viennent d’être formulées par une commission d’enquête de l’Assemblée nationale sur les pesticides, alors que les alertes scientifiques s’accumulent sur le lien entre ces produits phytosanitaires et de nombreuses maladies : Parkinson, Alzheimer, certains cancers chez l’adulte, leucémies, tumeurs du système nerveux et troubles du développement chez l’enfant. Les députés se sont penchés sur les causes de l’échec de la France à diminuer leur utilisation, malgré un cadre réglementaire pléthorique et une accumulation d’initiatives officielles.
Rappelez-vous, en 2008 Nicolas Sarkozy lançait le plan Ecophyto ambitionnant de diviser par deux l’usage des pesticides à l’horizon 2018 ! Seize ans plus tard et après trois autres plans officiels, dont le dernier recule l’objectif à 2030, l’échec est total. Les pesticides ont désormais contaminé tout l’environnement et pas moins de 4 300 captages pour la fabrication d’eau potable ont dû être fermés entre 1980 et 2019 pour cause de pollution ! Pire, si rien n’est fait les fermetures risquent encore de s’accélérer, alors que la baisse des précipitations due au changement climatique fera inexorablement monter les concentrations en pesticides.
Heureusement des solutions existent à tous ces maux : notamment un renforcement des procédures d’autorisation des pesticides, le développement des politiques publiques en faveur de la transition écologique ou encore une surveillance plus fine des pollutions, solutions qui figurent toutes parmi les recommandations de la Commission d’enquête. S’agissant des sources d’eau potable, je n’ai pas boudé mon plaisir en voyant que les députés ont repris les demandes formulées par l’UFC-Que Choisir, notamment la généralisation et le renforcement des mesures de protection des captages, pour qu’enfin l’activité agricole soit compatible avec une eau véritablement potable et indemne de pollutions.
J’attends en conséquence du Premier ministre que dans le cadre de son discours de politique générale prononcé cet après-midi à l’Assemblée nationale et des mesures complémentaires pour l’agriculture qu’il doit annoncer, qu’il (re)lise ce rapport des députés et qu’il prenne à son compte ces propositions, plutôt que celles de la FNSEA.
Marie-Amandine Stévenin
Présidente de l’UFC-Que Choisir